lundi 31 août 2009


Le Masque, collection du crime

En 1925, un jeune docteur de droit, Albert Pigasse, alors conseiller littéraire de Bernard Grasset, conçoit le projet d’une collection entièrement consacrée au mystère. Grand amateur depuis sa jeunesse des œuvres de Gaston Leroux (1868-1927) et de Maurice Leblanc (1864-1941), il pressent le goût du public pour ce genre policier. Il soumet son idée à Grasset qui refuse. Albert Pigasse le quitte alors pour fonder la Librairie des Champs-Elysées au 23, rue Marbœuf à Paris et crée la collection « Le Masque ». Il se propose de « publier des ouvrages de délassement pour intellectuels fatigués par leurs recherches » .
C’est cette idée, simple, mais révolutionnaire à son époque qui est à l’origine de la maison que nous connaissons encore aujourd’hui.


I – La Naissance
1927-1930 : les débuts
• 1927 : parution du premier volume de la collection : Le meurtre de Roger Ackroyd d’Agatha Christie. Les débuts sont difficiles car Pigasse met trois ans pour écouler 3000 exemplaires. Sept autres volumes paraissent cette première année.
• Très vite, Albert Pigasse a des difficultés financières, mais il signe un accord avec le groupe Hachette qui distribue en exclusivité les ouvrages du Masque dans tous ses points de vente et le soutient financièrement.
• Pigasse achète l’exclusivité des droits d’Agatha Christie.
1930-1939 : l’âge d’or
• Le Masque a soixante titres à son catalogue en 1930.
• De nombreux auteurs entrent au catalogue, mais la plupart sont anglo-saxons. Pour attirer des auteurs français, Albert Pigasse lance le prix du Roman d’aventures.
• La maison se diversifie avec la collection « Émeraude » consacrée aux romans d’espionnages.
1939-1956 : des temps difficiles
• La guerre ralentit fortement les activités de la maison. Albert Pigasse ne peut plus se fournir en romans anglo-saxons. En 1941, seul deux titres sont des traductions de l’anglais. De plus, il subit comme les autres éditeurs la censure et le manque de papier.
• Après la guerre, Le Masque est en concurrence avec le roman noir américain et commence à ressentir la concurrence des éditeurs qui se lancent à leur tour dans le secteur, notamment Gallimard avec la « Série Noire » qui se dédie durant ses premières années aux écrivains américains et au roman noir, tournant ainsi le dos à l’énigme.
• En dépit, de nombreux efforts, Le Masque est prisonnier de son image et ne parvient pas à s’imposer sur ce nouveau secteur.
• Pourtant, Pigasse publie de 1946 à 1957 plusieurs chefs d’œuvre d’Agatha Christie tels que Mort sur le Nil, Cinq petits cochons ou encore La Mort n’est pas une fin. C’est donc grâce à son auteur phare que la maison perdure.
1957-1971 : le renouveau
• En 1957, Charles Exbrayat entre au Masque avec un nouveau genre dont il est l’inventeur ; le roman policier humoristique. Il fera partie avec Agatha Christie des meilleures ventes de la maison durant des décennies.
• Le contexte politique des années 60 – des années de guerre froide – est propice aux romans d’espionnage. Le Masque veut répondre aux goûts du public et lance durant ces années-là plusieurs collections : « Dossiers secrets » en 1957, « Romans d’espionnage » de 1958 à 1961 ; « Espionnages » de 1961 à 1963 et « Services secrets » de 1963 à 1965.
• Dans le même temps Le Masque s’ouvre aux auteurs nordiques (Suédois) et portugais. Mais il lance également une collection en 1966, « Western » qui malgré la critique démarre fortement. Les premiers titres sont tirés à 24 000 exemplaires et la collection reste florissante jusqu’en 1981 quand ses tirages diminuent.
• Le Masque reste toujours très attentif au public et lance durant les années 70 des collections pour toucher le plus grand nombre. Ainsi naissent des séries policières comme « Brigade Mondaine » ou « Flics de choc » et « Le Masque/Science-fiction » et « Le Masque/Fantastique » entre 1974 et 1976.
• En 1971, Albert Pigasse prend sa retraite et cède Le Masque au groupe Hachette. Il cède une maison en bonne santé, en effet durant l’exercice 1969-1970 le chiffre d’affaire du Masque représente 5 millions de francs.

II – Le Grand bond en avant
• En 1977, Le Masque fête ses cinquante ans et le bilan est assez positif : 1500 titres, une cinquantaine de nouveautés par an et des premiers tirages extraordinaires (60 à 80000 exemplaires). Cependant, on trouve sur le marché du livre en France une cinquantaine de collections de romans policiers. Fleuve Noir détient le record du nombre de collections ainsi que le record des tirages. Les éditions du Masque se sont laissées dépassées et sont désormais méconnues du public.
• Jusqu’à l’arrivée de Michel Averlant, la direction du Masque vit sur ses acquis. En 1983, Le Masque ne reste leader sur son créneau que grâce à ses deux auteurs phares Agatha Christie et Exbrayat. Mais la collection ne fait pas assez parler d’elle et connaît un problème d’image.
• Entre 1983 et 1989, Michel Averlant aidé par Hélène Amalric, réorganise les collections du Masque. Il propose de nombreuses rééditions pour reconquérir les lecteurs du Masque tout en cherchant à innover avec des romans noirs. L’équipe choisit également à cette époque-là de retourner au jaune dans les couvertures .
• Durant les années 90, Le Masque diversifie son fonds en proposant des grands formats et des intégrales. Dans le même temps, plusieurs ouvrages sont retraduits – notamment ceux d’Agatha Christie – car on s’aperçoit du peu de fidélité des traducteurs des débuts. Albert Pigasse, ne parlant pas anglais, il ne pouvait contrôler leurs traductions. Le résultat est payant : 2,5 millions d’exemplaires d’Agatha Christie sont vendus par an. En 1996, Le Masque détient 38% du marché du roman policier ; la part Christie-Exbrayat qui lui permettait de se maintenir passe de 60% en 1985 à 40% : la diversification éditoriale est réussie.
• Cette diversification éditoriale est accompagnée de nombreuses opérations de promotion pour restaurer Le Masque dans l’esprit du public. En 1991, l’opération Le Masque de l’année est lancée, elle permet chaque année une mise en place de 30 000 exemplaires.
• Parallèlement à la production éditoriale, des adaptations à la télévision poussent Le Masque sur le devant de la scène. Quelques exemples :
- en 1989, vingt titres sont sélectionnés par FR3 pour une adaptation ;
- en 1991, la série « Imogène » tirée des romans d’Exbrayat rassemble 7 670 000 spectateurs à chaque épisode ;
- en 1996 l’adaptation par Claude Chabrol du roman de Ruth Rendell, L’Analphabète sous le titre La Cérémonie, entraîne une réédition du grand format ;
- et nous connaissons encore aujourd’hui la série « Julie Lescaut » tirée du roman d’Alexis Lecaye.

III – Le Masque, 80 ans après
• 80 ans après sa création, Le Masque s’appuie toujours sur ses valeurs sûres (A. Christie et C. Exbrayat sont toujours très présents au catalogue). Cependant, aujourd’hui la maison évolue. Sans perdre son identité, Le Masque propose des collections dynamiques et de nouvelles couvertures. Thriller, roman d’enquête ou polar historique (avec la collection Labyrinthes). Il s’attaque même à un nouveau lectorat en s’adressant aux jeunes lecteurs avec MSK, la dernière collection, née en 2008.
• Les opérations de promotions perdurent. Le Masque de l’année existe encore.
• Cependant, la maison a recentrée sa production en ne conservant que cinq collections :
- Grands Formats : Depuis 20 ans le Masque a développé une collection de textes en grand format. Aujourd’hui les auteurs étrangers et français s’y côtoient, sous de nouvelles couvertures illustrées : Val Mc Dermid, Ian Rankin, Boston Teran, Thierry Crifo, Pascale Fonteneau, ou Bretin-Bonzon, etc.
- Masque Jaune : La collection jaune est la collection mythique du Masque. On y trouve tous les auteurs historiques du Masque : Pierre Véry, Charles Exbrayat ou Stanislas André Steeman, Ruth Rendell, aujourd’hui réédités comme auteurs classiques et incontournables de la maison. La collection jaune abrite aussi les prix du Masque : Le prix du Roman d’aventures, Le prix Cognac du premier roman et le Masque de l’année.
- Agatha Christie (format poche jaune & noir) : Éditeur historique en France de l’œuvre d’Agatha Christie, Le Masque lui consacre une collection.
- Labyrinthes : Créée en 1997, la collection Labyrinthes publie des romans à suspense dans un cadre historique. On trouve dans le catalogue des rééditions d’auteurs classiques tels que Wilkie Collins ou Émile Gaboriau, connus pour être les pionniers de la fiction policière, mais aussi des auteurs contemporains tels que Jean d’Aillon, Viviane Moore ou Patrick Weber.
- MSK : Thrillers, romans d’aventures, de suspense, d’horreur, MSK a hérité des thèmes fondateurs du Masque, qui font son succès depuis plus de 80 ans. La dernière collection du Masque s’adresse aux adolescents et a son site internet dédié.

Avec ses récentes mutations, Le Masque semble se préparer à vieillir tout en restant toujours attentif au public. Il a ainsi pu investir l’édition de jeunesse qui est aujourd’hui en plein essor.



ANNEXES

1) LES ÉVOLUTIONS DE LA COLLECTION

1927 1928 à 1936 1936 à 1968 1968 à 1985

Couverture cartonnée unicolore verte Couverture cartonnée unicolore jaune
Couverture souple Taille réduite, couleur orange

1985 à 1998 1998 à 2005 Aujourd’hui

Couverture jaune,
titres des séries
apparent Taille de nouveau augmentée Pas de changement de format

2) CHRONOLOGIE DU MASQUE
1927 – Création par Albert Pigasse de la Librairie des Champs-Élysées.
1928 – Création de la revue Le Masque qui ne vit que quelques mois.
1930 – Le premier prix du Roman d’aventures est décerné à Pierre Véry, pour Le Testament de Basil Crookes.
1932 – Lancement d’un journal, en marge de l’association le Club des Masques, qui publié jusqu’en juillet 1935.
1933 – Lancement de la collection sœur « Police-Sélection ».
1938 – Création de la collection « Émeraude » qui remplace la précédente.
1945 – Apparition de la grande collection concurrente, la « Série Noire ».
1957 – Arrivée au Masque de Charles Exbrayat, futur grand auteur maison et directeur de la collection « Espionnage ».
1966 – Lancement de la collection « Le Masque/ Western » et du « Club des Masques ».
1971 – Hachette prend le contrôle de la Libraire des Champs-Élysées.
1972 – Christian Poninski est nommé à la direction du Masque.
1974 – Création de la série « Le Masque/Science-fiction ».
1976 – Lancement de la collection « Le Masque/ Fantastique ».
1977 – Le Masque fête ses cinquante ans.
1983 – Michel Averlant devient directeur du Masque.
1990 – Centenaire d’Agatha Christie. – Lancement des « Intégrales du Masque ».
1997 – Soixante-dixième anniversaire du Masque. – Lancement de la collection « Labyrinthes ».
2007 – Quatre-vingtième anniversaire de la maison.
2008 – Lancement d’une collection consacrée aux jeunes, « MSK ».


BIBLIOGRAPHIE
- MARTINETTI Anne, Le Masque, Histoire d’une collection, Encrage, 1997

INTERNET
- www.lemasque.com
- www.bibliosurf.com