lundi 31 août 2009


Le Masque, collection du crime

En 1925, un jeune docteur de droit, Albert Pigasse, alors conseiller littéraire de Bernard Grasset, conçoit le projet d’une collection entièrement consacrée au mystère. Grand amateur depuis sa jeunesse des œuvres de Gaston Leroux (1868-1927) et de Maurice Leblanc (1864-1941), il pressent le goût du public pour ce genre policier. Il soumet son idée à Grasset qui refuse. Albert Pigasse le quitte alors pour fonder la Librairie des Champs-Elysées au 23, rue Marbœuf à Paris et crée la collection « Le Masque ». Il se propose de « publier des ouvrages de délassement pour intellectuels fatigués par leurs recherches » .
C’est cette idée, simple, mais révolutionnaire à son époque qui est à l’origine de la maison que nous connaissons encore aujourd’hui.


I – La Naissance
1927-1930 : les débuts
• 1927 : parution du premier volume de la collection : Le meurtre de Roger Ackroyd d’Agatha Christie. Les débuts sont difficiles car Pigasse met trois ans pour écouler 3000 exemplaires. Sept autres volumes paraissent cette première année.
• Très vite, Albert Pigasse a des difficultés financières, mais il signe un accord avec le groupe Hachette qui distribue en exclusivité les ouvrages du Masque dans tous ses points de vente et le soutient financièrement.
• Pigasse achète l’exclusivité des droits d’Agatha Christie.
1930-1939 : l’âge d’or
• Le Masque a soixante titres à son catalogue en 1930.
• De nombreux auteurs entrent au catalogue, mais la plupart sont anglo-saxons. Pour attirer des auteurs français, Albert Pigasse lance le prix du Roman d’aventures.
• La maison se diversifie avec la collection « Émeraude » consacrée aux romans d’espionnages.
1939-1956 : des temps difficiles
• La guerre ralentit fortement les activités de la maison. Albert Pigasse ne peut plus se fournir en romans anglo-saxons. En 1941, seul deux titres sont des traductions de l’anglais. De plus, il subit comme les autres éditeurs la censure et le manque de papier.
• Après la guerre, Le Masque est en concurrence avec le roman noir américain et commence à ressentir la concurrence des éditeurs qui se lancent à leur tour dans le secteur, notamment Gallimard avec la « Série Noire » qui se dédie durant ses premières années aux écrivains américains et au roman noir, tournant ainsi le dos à l’énigme.
• En dépit, de nombreux efforts, Le Masque est prisonnier de son image et ne parvient pas à s’imposer sur ce nouveau secteur.
• Pourtant, Pigasse publie de 1946 à 1957 plusieurs chefs d’œuvre d’Agatha Christie tels que Mort sur le Nil, Cinq petits cochons ou encore La Mort n’est pas une fin. C’est donc grâce à son auteur phare que la maison perdure.
1957-1971 : le renouveau
• En 1957, Charles Exbrayat entre au Masque avec un nouveau genre dont il est l’inventeur ; le roman policier humoristique. Il fera partie avec Agatha Christie des meilleures ventes de la maison durant des décennies.
• Le contexte politique des années 60 – des années de guerre froide – est propice aux romans d’espionnage. Le Masque veut répondre aux goûts du public et lance durant ces années-là plusieurs collections : « Dossiers secrets » en 1957, « Romans d’espionnage » de 1958 à 1961 ; « Espionnages » de 1961 à 1963 et « Services secrets » de 1963 à 1965.
• Dans le même temps Le Masque s’ouvre aux auteurs nordiques (Suédois) et portugais. Mais il lance également une collection en 1966, « Western » qui malgré la critique démarre fortement. Les premiers titres sont tirés à 24 000 exemplaires et la collection reste florissante jusqu’en 1981 quand ses tirages diminuent.
• Le Masque reste toujours très attentif au public et lance durant les années 70 des collections pour toucher le plus grand nombre. Ainsi naissent des séries policières comme « Brigade Mondaine » ou « Flics de choc » et « Le Masque/Science-fiction » et « Le Masque/Fantastique » entre 1974 et 1976.
• En 1971, Albert Pigasse prend sa retraite et cède Le Masque au groupe Hachette. Il cède une maison en bonne santé, en effet durant l’exercice 1969-1970 le chiffre d’affaire du Masque représente 5 millions de francs.

II – Le Grand bond en avant
• En 1977, Le Masque fête ses cinquante ans et le bilan est assez positif : 1500 titres, une cinquantaine de nouveautés par an et des premiers tirages extraordinaires (60 à 80000 exemplaires). Cependant, on trouve sur le marché du livre en France une cinquantaine de collections de romans policiers. Fleuve Noir détient le record du nombre de collections ainsi que le record des tirages. Les éditions du Masque se sont laissées dépassées et sont désormais méconnues du public.
• Jusqu’à l’arrivée de Michel Averlant, la direction du Masque vit sur ses acquis. En 1983, Le Masque ne reste leader sur son créneau que grâce à ses deux auteurs phares Agatha Christie et Exbrayat. Mais la collection ne fait pas assez parler d’elle et connaît un problème d’image.
• Entre 1983 et 1989, Michel Averlant aidé par Hélène Amalric, réorganise les collections du Masque. Il propose de nombreuses rééditions pour reconquérir les lecteurs du Masque tout en cherchant à innover avec des romans noirs. L’équipe choisit également à cette époque-là de retourner au jaune dans les couvertures .
• Durant les années 90, Le Masque diversifie son fonds en proposant des grands formats et des intégrales. Dans le même temps, plusieurs ouvrages sont retraduits – notamment ceux d’Agatha Christie – car on s’aperçoit du peu de fidélité des traducteurs des débuts. Albert Pigasse, ne parlant pas anglais, il ne pouvait contrôler leurs traductions. Le résultat est payant : 2,5 millions d’exemplaires d’Agatha Christie sont vendus par an. En 1996, Le Masque détient 38% du marché du roman policier ; la part Christie-Exbrayat qui lui permettait de se maintenir passe de 60% en 1985 à 40% : la diversification éditoriale est réussie.
• Cette diversification éditoriale est accompagnée de nombreuses opérations de promotion pour restaurer Le Masque dans l’esprit du public. En 1991, l’opération Le Masque de l’année est lancée, elle permet chaque année une mise en place de 30 000 exemplaires.
• Parallèlement à la production éditoriale, des adaptations à la télévision poussent Le Masque sur le devant de la scène. Quelques exemples :
- en 1989, vingt titres sont sélectionnés par FR3 pour une adaptation ;
- en 1991, la série « Imogène » tirée des romans d’Exbrayat rassemble 7 670 000 spectateurs à chaque épisode ;
- en 1996 l’adaptation par Claude Chabrol du roman de Ruth Rendell, L’Analphabète sous le titre La Cérémonie, entraîne une réédition du grand format ;
- et nous connaissons encore aujourd’hui la série « Julie Lescaut » tirée du roman d’Alexis Lecaye.

III – Le Masque, 80 ans après
• 80 ans après sa création, Le Masque s’appuie toujours sur ses valeurs sûres (A. Christie et C. Exbrayat sont toujours très présents au catalogue). Cependant, aujourd’hui la maison évolue. Sans perdre son identité, Le Masque propose des collections dynamiques et de nouvelles couvertures. Thriller, roman d’enquête ou polar historique (avec la collection Labyrinthes). Il s’attaque même à un nouveau lectorat en s’adressant aux jeunes lecteurs avec MSK, la dernière collection, née en 2008.
• Les opérations de promotions perdurent. Le Masque de l’année existe encore.
• Cependant, la maison a recentrée sa production en ne conservant que cinq collections :
- Grands Formats : Depuis 20 ans le Masque a développé une collection de textes en grand format. Aujourd’hui les auteurs étrangers et français s’y côtoient, sous de nouvelles couvertures illustrées : Val Mc Dermid, Ian Rankin, Boston Teran, Thierry Crifo, Pascale Fonteneau, ou Bretin-Bonzon, etc.
- Masque Jaune : La collection jaune est la collection mythique du Masque. On y trouve tous les auteurs historiques du Masque : Pierre Véry, Charles Exbrayat ou Stanislas André Steeman, Ruth Rendell, aujourd’hui réédités comme auteurs classiques et incontournables de la maison. La collection jaune abrite aussi les prix du Masque : Le prix du Roman d’aventures, Le prix Cognac du premier roman et le Masque de l’année.
- Agatha Christie (format poche jaune & noir) : Éditeur historique en France de l’œuvre d’Agatha Christie, Le Masque lui consacre une collection.
- Labyrinthes : Créée en 1997, la collection Labyrinthes publie des romans à suspense dans un cadre historique. On trouve dans le catalogue des rééditions d’auteurs classiques tels que Wilkie Collins ou Émile Gaboriau, connus pour être les pionniers de la fiction policière, mais aussi des auteurs contemporains tels que Jean d’Aillon, Viviane Moore ou Patrick Weber.
- MSK : Thrillers, romans d’aventures, de suspense, d’horreur, MSK a hérité des thèmes fondateurs du Masque, qui font son succès depuis plus de 80 ans. La dernière collection du Masque s’adresse aux adolescents et a son site internet dédié.

Avec ses récentes mutations, Le Masque semble se préparer à vieillir tout en restant toujours attentif au public. Il a ainsi pu investir l’édition de jeunesse qui est aujourd’hui en plein essor.



ANNEXES

1) LES ÉVOLUTIONS DE LA COLLECTION

1927 1928 à 1936 1936 à 1968 1968 à 1985

Couverture cartonnée unicolore verte Couverture cartonnée unicolore jaune
Couverture souple Taille réduite, couleur orange

1985 à 1998 1998 à 2005 Aujourd’hui

Couverture jaune,
titres des séries
apparent Taille de nouveau augmentée Pas de changement de format

2) CHRONOLOGIE DU MASQUE
1927 – Création par Albert Pigasse de la Librairie des Champs-Élysées.
1928 – Création de la revue Le Masque qui ne vit que quelques mois.
1930 – Le premier prix du Roman d’aventures est décerné à Pierre Véry, pour Le Testament de Basil Crookes.
1932 – Lancement d’un journal, en marge de l’association le Club des Masques, qui publié jusqu’en juillet 1935.
1933 – Lancement de la collection sœur « Police-Sélection ».
1938 – Création de la collection « Émeraude » qui remplace la précédente.
1945 – Apparition de la grande collection concurrente, la « Série Noire ».
1957 – Arrivée au Masque de Charles Exbrayat, futur grand auteur maison et directeur de la collection « Espionnage ».
1966 – Lancement de la collection « Le Masque/ Western » et du « Club des Masques ».
1971 – Hachette prend le contrôle de la Libraire des Champs-Élysées.
1972 – Christian Poninski est nommé à la direction du Masque.
1974 – Création de la série « Le Masque/Science-fiction ».
1976 – Lancement de la collection « Le Masque/ Fantastique ».
1977 – Le Masque fête ses cinquante ans.
1983 – Michel Averlant devient directeur du Masque.
1990 – Centenaire d’Agatha Christie. – Lancement des « Intégrales du Masque ».
1997 – Soixante-dixième anniversaire du Masque. – Lancement de la collection « Labyrinthes ».
2007 – Quatre-vingtième anniversaire de la maison.
2008 – Lancement d’une collection consacrée aux jeunes, « MSK ».


BIBLIOGRAPHIE
- MARTINETTI Anne, Le Masque, Histoire d’une collection, Encrage, 1997

INTERNET
- www.lemasque.com
- www.bibliosurf.com

lundi 19 janvier 2009

Où va le livre ?

Étude critique sous forme de compte-rendu de lecture


CORPUS :
• Coll., Le livre : que faire ? La Fabrique, 2008
• Robin Christian, Pratique de gestion éditoriale, Cercle de la librairie, 2000



Bien qu’un Français sur quatre ne lise aucun livre par an, la vente de romans a pourtant augmenté de 47% entre 1990 et 2005. Le domaine des sciences humaines ne progresse lui que de 15,5% toutes matières confondues. Ce dernier se situe donc en deçà du CA global de l’édition qui a augmenté de 32,7% dans cette même période .
Ainsi, alors que les textes de savoir ne sont pas les fers de lance de l’édition, la littérature se porte bien. En France, on lit donc des romans. Cependant ces lectures – qui inondent le marché – sont représentatives de la « prescription » orchestrée par les grands groupes qui publient en France. On assiste en effet à une inondation massive du marché à travers les grands diffuseurs par les éditeurs les plus puissants financièrement. Ces derniers grâce à leur pouvoir monétaire, produisent plus facilement que les éditeurs plus modestes ; ils sont ainsi plus présents dans les étalages. Et on lit donc ce qui se voit. Le livre dans son ensemble n’est pas représenté et, par conséquent, n’est pas accessible à tous.
Alors, en dépit de ces chiffres positifs, tous les professionnels sont d’accord : le livre ne se porte pas bien. Á tel point que le rapport Livre 2010 – commandé par le ministère de la Culture et remis en juillet 2007 – a été chargé de prendre le pouls du secteur et de proposer des solutions. Nous pouvons ainsi dire que non seulement les professionnels réfléchissent au sort du livre mais que le gouvernement est directement impliqué. La question du livre est donc une question d’ordre publique.
« Où va le livre ? » Voilà la question que tous les acteurs du secteur se posent de façon accrue depuis environ une décennie. Va-t-on assister à une disparition pure et simple du livre ou à une transformation ?
Dans cette étude nous nous intéresserons au secteur au moyen de trois faisceaux ; le livre et les formes qu’il revêt, la question du financement et du rôle de l’État et nous nous pencherons finalement sur les mutations technologiques qui font irruption sur la scène du livre.


I. Le livre : un même objet pour deux approches opposées

En fonction de son univers de production (le public qu’il vise) et de la structure éditoriale qui le produit (structure indépendante ou grand groupe éditorial) le livre, peut être envisagé de façon très différente. Il faut distinguer les deux approches pour comprendre les enjeux qui sous tendent la question de l’avenir du livre.
Dans un contexte de régression de la lecture et de progression de l’illettrisme et où tous les acteurs du secteur s’interrogent sur son avenir , le livre est de plus en plus traité comme un produit, une marchandise. Il faut en effet pour assurer la pérennité de l’activité éditoriale pouvoir vendre au maximum de lecteurs un maximum d’ouvrages. Ainsi, le secteur de l’édition pour sa survie même doit être appréhendé comme une activité économique. Il est vrai que traditionnellement, il y a des résistances à ce point de vue . Mais pour rester libre un éditeur doit maîtriser la gestion économique de sa maison ou des livres dont il a la charge. Cependant, même à l’aune de ces questions commerciales, on peut discerner deux catégories de livre dans le vaste marché du livre.

A. Le livre-produit

On distingue premièrement le livre-produit. Il s’agit du livre envisagé comme un pur produit commercial et, dès lors, conçu et fabriqué comme tel : « […] des livres qui sont des produits industriels, élaborés en suivant les règles du marketing et commercialisés en s’appuyant avant tout sur les grandes enseignes répandues sur le territoire et en particulier à la périphérie des villes. » Éric Hazan dans Le livre : que faire ? vise par ces mots les livres les plus nombreux en titres et en exemplaires vendus chez de grandes enseignes comme la Fnac et Cultura. Christian Robin dans Pratiques de gestion éditoriale parle à ce titre de « prototype ». En effet, le succès des grands groupes réside sur les prototypes qu’ils produisent. Il faut d’abord savoir que « l’économie de l’édition est dominée par une règle économique majeure : les coûts de production sont très élevés par rapport aux coûts de reproduction » . La recette consiste alors à créer un concept, une idée, un prototype puis de le lancer sur le marché avec une campagne marketing forte (jeu-concours, cadeaux, remise, mini-site Web propre à l’opération, etc.). Il faut préciser que ces commandes éditoriales représentent, dans la plupart des cas, des ouvrages de qualité discutable. Cependant, en cas de succès, le prototype lancé devient très vite rentable car il est reproductible « sans délai, à faible coût et en quantité illimitée »4. Bien plus, il peut constituer un modèle déclinable dans une collection ou un type susceptible d’attirer des lecteurs en masse. On ne peut manquer de donner ici en exemple la série des Harry Potter, et toutes les imitations qu’elle a suscitées en littérature de jeunesse, de même que Le journal de Bridget Jones en littérature populaire (ce livre s’étant appuyé par ailleurs sur un film sortit en France avant la parution du roman en poche). On peut également citer dans un autre registre les livres de cuisine "tendance" lancés par Marabout et repris par la plupart des éditeurs.

B. Le livre de création

On place dans cette catégorie les essais, les ouvrages de savoirs, de littérature de qualité, de poésie, etc. Il s’agit d’ouvrages de qualité, difficiles à produire car ne répondant pas nécessairement aux attentes du lectorat de masse, il est compliqué de les financer. Il faudra, en effet, les écrire, les éditer et trouver les moyens financiers de les lancer et de les vendre. Dans la plupart des cas, ce sont des maisons de petites tailles qui réalisent de tels livres. Elles prennent ainsi de nombreux paris éditoriaux qui parfois sont récompensés. Citons ici le succès de Flammarion avec Michel Houellebecq, bien que celui-ci avec le succès soit passé aux grands groupes ; chez Hachette grâce à son rachat par Fayard, filiale du grand groupe qui a édité La possibilité d’une île. Mais ce sont les éditeurs indépendants qui avaient pris le risque de lancer cet auteur qui s’était fait connaître par le bouche à oreille.
Pour que la création littéraire et qu’une création originale en générale subsiste, ces petits éditeurs sont nécessaires. Ce sont eux qui assurent la « bibliodiversité », ils ont donc une mission de service public. Mais « la plupart des petits éditeurs survivent soit en sous-payant leurs équipes – ceux qui travaillent chez Agone sont tous rémunérés au Smic –, soit en ne payant pas leurs responsables d’édition […] » . Dans la question de l’avenir du livre, ce sont ces livres de création qui sont menacés car ils ne répondent pas à des exigences de marché.



II. La question financière et le rôle de l’État

Avec le livre-produit, la rentabilité est très souvent au rendez-vous et ce sont ces livres qui expliquent les chiffres positifs du secteur aujourd’hui. Cependant, pour atteindre une pareille rentabilité il faut avoir de puissants moyens financiers. Pour survivre, les multiples maisons d’édition qui, grâce à leur diversité, rendent possible le débat d’idées et permettent de donner jour à une pensée complexe, doivent disposer de moyens pour financer leurs ouvrages. Or, aujourd’hui seuls les grands groupes sont en mesure de faire de tels paris économiques. Leur puissance économique venant directement du fait qu’eux-mêmes sont détenus par de grands industriels. « Les chiffres sont connus : les deux tiers des journaux et des magazines français sont aux mains de Dassault et Lagardère, les deux principaux fabricants d’armements du pays. Hachette, filiale de Lagardère, possède une grande partie des maisons d’édition françaises et contrôle le réseau de distribution de la presse. » . Le marché français est loin d’être une exception ; cet état de faits est la tendance mondiale dans les milieux des mass media et de l’édition . Au-delà de la question financière, c’est bien l’avenir des idées qui est en jeu sur le marché du livre ; « le contrôle accru des médias et de l’édition par les conglomérats a des conséquences politiques et intellectuelles dangereuses »5.
Comment endiguer et contrôler cette hégémonie ? « Dans le domaine du livre et de l’édition, la règle générale reste celle de l’initiative, de la propriété et du financement privés » . Cependant en laissant l’économie du livre reposer uniquement sur le marché on arrive à un système qui submerge et empêche toute expression libre. La liberté d’opinion est alors menacée. Il faut donc un acteur neutre pour garantir la survivance d’une pensée créatrice de qualité, vivace, multiple et libre. C’est donc tout naturellement que l’on peut désigner l’État en tant que l’acteur neutre qui lutterait pour la survie de ces libertés. Celui-ci, à travers les subventions qu’il accorderait, deviendrait un véritable garant de la diversité culturelle. En privilégiant et en valorisant les petites structures et les maisons de qualité dans les appels d’offres pour les bibliothèques, l’État contribueraient également et à la diffusion des idées et à la survie de ces structures indispensables à une culture se voulant diverse. Ainsi, c’est à l’État de jouer le rôle de "tampon" nécessaire également à la vivacité et au développement des petits libraires et diffuseurs qui permettent que le plus large choix reste disponible à la population.
Afin de clarifier le rôle de l’État d’aucuns suggèrent la création d’un organisme public comme le CNC pour assurer la continuité d’une édition indépendante. Cet organisme, avec des fonds plus substantiels que ceux qui sont aujourd’hui alloués au CNL (Centre National du Livre) – son budget atteindra bientôt moins de 50 millions d’euros, il n’a rien de commun avec les budget alloué à d’autres secteurs de production culturelle comme le cinéma par exemple – pourra intervenir de manière radicale dans les perspectives des petites maisons d’édition.


III. Le livre et les mutations technologiques








Le papier électronique

Avec l’utilisation de plus en plus importante des technologies informatiques et numériques dans l’édition on assiste au passage d’un âge à un autre. En effet, des innovations telles que l’encre et le papier électroniques ainsi que des lecteurs portatifs de livres numériques bouleversent les pratiques et poussent les acteurs du secteur à la réflexion.

Une illustration : l’exemple d’Éditis

Éditis, deuxième groupe éditorial du marché français, s’est positionné remarquablement dans ce domaine. En effet, le groupe a su trouver quelques solutions pour suivre les transformations actuelles et même parfois anticiper les changements de comportements des lecteurs. Le groupe s’est très fortement et très sérieusement lancé sur de nombreuses pistes afin de se positionner rapidement par rapport à ses concurrents.
• Sur Internet :
« Les nouvelles techniques permettent de mieux connaître ses lecteurs et de leur proposer une offre personnalisée » . Il s’agit de recommander automatiquement, chez Fleuve Noir par exemple, des ouvrages proches de celui que le lecteur choisit grâce à la recherche multicritères du catalogue. Une autre pratique permet de consulter quelques pages de l’ouvrage sélectionné (en générales les premières avec le sommaire) – Nathan le propose sur son site Web pour tous ses ouvrages récents – ou de lire le premier chapitre (chez 10-18 notamment). Mais, on peut aller encore plus loin en créant autour d’un ouvrage ou d’une collection particulière un forum ou un blog. En mars 2006, Nathan s’est lancé dans le développement de « sites contributifs » autour desquels se retrouvent auteurs, éditeurs et professeurs. Ces sites sont un lieu d’échanges où ces collaborateurs se retrouvent pour partager autour des programmes et des ouvrages. Ces sites sont aussi une source de renseignements précieuse pour Nathan dans l’élaboration des prochaines éditions.
Editis s’efforce également d’être présent sur les forums et les blogs qui parlent de ses livres grâce aux "Widgets", un outil développé spécialement. Ce sont de petits encarts qui affichent automatiquement sur les sites qui les autorisent la couverture d’un ouvrage. En cliquant sur ce petit module le visiteur peut consulter les premières pages du livre en question et même accéder à des sites marchands afin de l’acquérir ; le but principal étant de vendre.
Cet outil a été poussé afin de permettre au lecteur de lire des extraits sur son téléphone portable. Ainsi, Pocket s’est associé à la sortie de l’iPhone d’Apple et a ainsi proposé au public des ouvrages phares de ce fond par ce moyen.
• En ressources multimédias :
Nathan, précurseur, propose des manuels "vidéoprojetables" en téléchargement pour les professeurs de l’élémentaire au lycée. De nombreux CD-Roms accompagnent également les manuels depuis de nombreuses années. Mais, Editis se démarque nettement dans l’avancée technologique puisque Bordas et Nathan, toutes deux filiales du groupe et acteurs majeurs de l’édition scolaire, ont entrepris dès 2000 la réalisation de manuels électroniques. Il s’agissait de tendre vers la réalisation du cartable électronique, mutation en réflexion dans les milieux éducatifs depuis le développement de l’ordinateur personnel (PC).
Toutes ces innovations essaient de s’adapter aux changements dans les modes de communication actuels. Les éditeurs, s’ils veulent survivrent à ces mutations doivent réfléchir aux moyens de rester présents dans le marché futur du livre.

Néanmoins, en dépit de ces multiples innovations et perspectives, la fin du livre papier n’est pas encore pour aujourd’hui. En effet, il représente la grande majorité de la production des livres. Cependant, il faut bien garder à l’esprit que rester attachés à la forme actuelle du livre sans envisager de futur serait – ainsi que le dit Jérôme Vidal dans Le livre : que faire – « […] aussi sensé que de réclamer l’abandon du codex et le retour au volumen ». Le livre a déjà changé de support sans pour autant disparaître. Dans la question « Où va le livre ? » ce n’est donc pas de son support dont il faut s’inquiéter. Il faut retenir que le livre change ; il s’adapte de plus en plus à des exigences de marché et il est de plus en plus homogène dans les sujets qu’il traite.
La question « Où va le livre ? » pose celles des conditions dans lesquelles les différentes mutations à venir s’opéreront. Le livre à venir fera-t-il une place à la diversité ? Toutes les idées et toutes les identités trouveront-elles le moyen de s’exprimer librement sur le marché du livre ? Et enfin, l’État, reconnaîtra-t-il la mission de service public des maisons indépendantes ? Le rapport Livre 2010 devait apporter des réponses à ces questions mais n’a pas entièrement répondu aux angoisses actuelles. Il faudra alors être attentifs aux différentes propositions et solutions qui seront mises en place dans le futur pour présager de l’avenir du livre.